Formation à l’architecture
Yona Friedman déplore la rupture de la communication entre habitant et concepteur, conséquence de l’absence d’un langage commun. La participation active de l’architecte autoconstructeur au chantier est l’occasion de transmettre des rudiments d’architecture à ceux qui lui viennent en aide. Non seulement il prend part à la construction et peut justifier de la conception directement devant d’autres constructeurs, qui n’ont donc pas simplement à la considérer comme figée, mais aussi il précise son dessin en fonction des matériaux qu’il récupère, des améliorations possibles qu’il envisage au cours du chantier…
L’expérience manque pour étayer ce point. Au cours du workshop que j’ai déjà cité, un menuisier chevronné mais peu habitué aux imaginaires débridés des étudiants d’architecture, a été surpris de voir les idées de réutilisation de matériaux disponibles élaborées par ces derniers. Tandis que le travail de l’artisan consacre la précision de la mise en œuvre, celui de l’architecte consacre le passage de la double dimension à la triple dimension. Les propos d’une étudiante de deuxième année du Rural Studio, Jennifer Stanton, donnent une seconde idée de la capacité de l’architecte autoconstructeur à former l’autre à son domaine : dans sa participation à un premier projet de logement étudiant, dans lequel elle intervient après la phase de conception, elle établit le lien entre la conception et la construction, que les études ne lui permettaient jusque là pas de visualiser.
Expérimentation d’une limite
L’autoconstruction est un moyen d’arriver à quelque chose, ça n’est pas un but, rappelle Julien Beller. Il arrive dans des cas particuliers que l’autoconstruction par l’architecte soit la seule issue à un problème donné. Pour le Rural Studio, la participation bénévole est indispensable aux faibles coûts attendus ; Samuel Mockbee a donc eu l’idée de rapprocher cela du besoin pour les étudiants de construire par eux-mêmes. Julien Beller, lorsqu’il travaille pour des Roms, joue le rôle du spécialiste, corrige les éventuelles malfaçons. Il a pour cela besoin d’une connaissance pratique de la construction.
Fujimori Terunoobu, architecte historien japonais et practicien depuis 1990, dessine en 1998 le château Tsubaki. Des contrats traditionnels sont signés avec des entreprises, mais celles-ci bloquent sur un point : l’architecte exige que le joint épais entre les panneaux d’andésite soit planté d’herbe, et que la végétalisation du toit se retourne et ne fasse pas apparaître de goutte d’eau. En effet, le coût d’une telle mise en œuvre est difficilement estimable. L’obligation pour une entreprise de réparer les dommages éventuels dus à la mise en œuvre augmente son risque. L’architecte prend donc les choses en main et crée la Jomon Company qui se charge de réaliser elle-même ces points particuliers [1].
Temporalité
La temporalité du projet autoconstruit est variable. Elle joue le plus souvent un rôle neutre ; Monique et Yannic agissant à mi-chemin entre architectes et artisans, leur travail prend sensiblement le même temps que celui d’un artisan. Au contraire, les projets de Julien Beller se réalisent sur des terrains occupés provisoirement, donc l’urgence exige de faire soi-même. Les projets du Rural Studio avancent quant à eux très lentement, cela pour deux raisons. Le projet pédagogique élaboré par Samuel Mockbee transparaît dans les propos de Jeff Cooper, qui apprécie que Mockbee vous fasse croire que vous pouvez tout faire tandis qu’il vous laisse tourner et aboutir aux bons choix [2]. Et les étudiants doivent apprendre et apprendre de leurs erreurs au fur et à mesure de la construction, ne surtout pas détenir un plan détaillé de leur intervention mais hésiter, expérimenter. C’est une contrepartie maigre devant la réalisation complète d’un bâtiment dessiné spécifiquement pour soi et à des tarifs aussi faibles.