Histoire et Essence de l’architecture
Cette démarche n’est pas une nouveauté. Le métier de l’architecte, tel qu’on le définit aujourd’hui, n’est apparu qu’avec la multiplication des traités d’architecture et la nécessité d’étudier l’architecture comme discipline du projet. Originellement, l’architecte et le maçon ne formaient qu’un seul métier. Le rôle du concepteur et celui du constructeur étaient indissociables. Au vingtième siècle, les chantiers des architectes les plus renommés ont été de plus en plus sous-traités ; on aurait du mal à imaginer Renzo Piano construire un mur, Frank Gehry quitter son uniforme d’architecte et enfiler un bleu de travail, Zaha Hadid maudire le concepteur devant la complexité du coffrage à mettre en place, Rem Koolhaas mal à l’aise face à l’étroitesse de la terrasse de la villa Dall’ava…
On s’amusera à remarquer que tous les architectes autoconstructeurs, déçus par le fonctionnement d’une architecture capitaliste, ayant pratiqué la division des tâches à outrance (avec en 1985 l’introduction de l’OPC, ordonnancement, pilotage et coordination), prennent une position ancestrale. On y retrouve l’exaltation de Fernand Pouillon, architecte, auteur des Pierres sauvages qui narre la construction de l’abbaye du Thoronet derrière l’œil du moine bâtisseur [1]. Comme s’il avait théâtralisé son retour au temps béni de l’architecture, ne pouvant se faire dans l’exercice moderne de ce métier. Avant lui, Viollet-le-Duc s’est placé dans la peau du constructeur avec la narration de l’édification d’une maison de maître pendant la guerre de 1870 [2] ; son livre ressort à présent comme un manuel d’autoconstruction avant l’heure.
La petite et la grande échelles
L’architecture totale est-elle vouée à jouer un rôle mineur dans la construction ? De par la quantité de projets réalisés c’est évident, le nombre d’architectes dans un pays comme la France ne pourrait réaliser de ses mains tous les projets nécessaires au bon rythme de renouvellement du parc construit, encore moins à sa densification. Il est encore plus difficile d’imaginer un grand projet autoconstruit par l’architecte de celui-ci : l’architecte autoconstructeur se cantonne à des projets d’échelle moindre, sans quoi il ne peut jouer son rôle de garant du bon fonctionnement du chantier. Sonia Vu cherche dans l’exercice de son métier à concilier ses envies d’une conception non arrêtée en phase chantier avec la nécessité de contrôler la construction a priori.
J’ai commencé par vivre sur le chantier. A présent je dessine tout. Je suis en train de faire l’opposé. Pour moi, l’autoconstruction est un extrême, on ne peut pas faire ça au quotidien. S’installer sur tous ses chantiers, passer trois ans à Calais, deux ans à Nantes. Il faut trouver un juste milieu.
Ce que je n’ai pas résolu, c’est le problème de l’échelle. C’est toujours resté à une échelle maîtrisable par une seule personne.
En revanche, il est intéressant de remarquer la grande diffusion de ces architectures parmi la population initiée. La maison fabriquée en assemblages de palettes, la Palettenhaus du bureau SParchitects, a reçu son lot de prix et de critiques enthousiastes, qui n’ont pas oublié de dénoter le caractère durable du bâtiment. Exyzt s’est fait inviter à l’une des grandes messes internationales d’architecture. Certains professeurs d’architecture s’amusent à montrer des projets comme le palais- bulle d’Antti Lovag, résidence actuelle de Pierre Cardin. Le Rural Studio montre aux étudiants le pouvoir de l’architecture de changer des vies [3]. L’architecture totale n’est pas vouée à jouer un rôle conséquent dans le milieu de la construction ; mais dans le monde de l’architecture elle a une influence croissante.
De plus, l’autoconstruction autonome manque parfois de cette sensibilité architecturale qui touche les passionnés de la question. On pourrait reprocher l’inverse à l’architecture totale, qui voit dans l’expression du matériau pauvre plus d’intérêt que son client. Ce constat est à l’origine de la déception de Michel Onfray après la livraison du Manable. Il y a vu une simple cabane de bric et de broc, une gabegie, des dégâts[[ Echange de courriels, décembre 2009, cité par Alice Vaillant, Le réemploi en architecture, mémoire à l’ENSAPB, dir. Françoise Fromonot, 2010]]. Peut-être faudrait-il chercher la transition juste, le modèle intermédiaire, entre les deux pôles que constituent l’autoconstruction autonome et l’architecture totale ?