Deux facteurs s’opposent dans la conception d’un projet autoconstruit. D’une part, l’architecte est fasciné par l’architecture vernaculaire traditionnelle de la région dans laquelle il construit. Il souhaite réinterpréter le mode de construction local pour une meilleure intégration dans la vie des habitants. Marcel Griaule a étudié la cosmogonie dogon (peuple vivant autour d’une falaise au Mali), et dévoile la symbolique humaine du plan d’une maison, dessiné comme un homme étendu sur le côté en train de procréer [1].
L’architecture sans architectes n’est pas seulement un ramassis de constructions généralement sous-estimées, mais un témoignage silencieux de modes de vie riches en intuition quoique pauvres en progrès. (…) De plus, c’est une architecture sans dogme [2].
Par ailleurs, le résultat de cette création collective et néanmoins personnalisée n’est pas définitif. Les techniques tout autant que les matériaux familiers à ceux qui l’habitent permettent que la maison se transforme. Par sa croissance, le tissu de l’agglomération même tantôt se densifie et s’affermit, tantôt par la décrépitude des cellules se relâche et se disloque. Par tous ces phénomènes de changement, ou de vie, se réalisent des rapports sociaux toujours nouveaux, car ceux-ci, indéterminés d’avance, sont libres de s’exprimer à travers les constructions qui les matérialisent.
A un degré supérieur, le produit urbanistique de ces techniques naturelles est toujours intriqué, intrigant
donc intéressant, parfois enchanteur, créant des lieux où malgré la complexité et la différenciation des articulations, ou justement grâce à cela, on s’oriente ou même on aime à se perdre [3].
D’autre part, l’architecte doit affronter le souhait d’une construction d’aspect petit-bourgeois de la part des populations en faveur desquelles il intervient. Il considère en effet que respecter les vœux des usagers constitue une condition primordiale.
Les habitants refusent à présent de construire leurs maisons en torchis, pisé ou en tuiles. Ils veulent pour leur couverture de la tôle ondulée et, pour leurs murs, ce qu’ils appellent de la terre européenne, c’est-à-dire le béton. Si nous voulons progresser dans le futur, nous devrons nous débarrasser de cette obsession qui se transforme en paralysie mentale [4].
Alors, le rêve de la maison prend évidemment la forme de ce qui a déjà été construit pour l’habitat populaire, seule forme existante et seule forme qu’ils connaissent, c’est-à-dire de longues allées parallèles où sont implantées de petites maisons de 30m2 environ, les unes à côté des autres. Urbanisme-cimetière pour nous, mais urbanisme-idéal pour eux, puisque c’est le seul qui leur ait jamais été proposé [5].
Il y a pire – ce n’est pas seulement à cause de ces « influences » que le bidonville est considéré comme laid ; le bidonville est « déshonorant », il est d’une laideur déshonorante et ses habitants le pensent aussi, sous l’influence du jugement des autres, et le ressentent. Alors que font-ils ? Ils essayent de copier les détails des bâtiments ou des intérieurs de ceux qu’ils considèrent comme riches et le bidonville devient la parodie, la caricature de l’architecture bourgeoise, tout comme l’architecture bourgeoise l’était de la classe noble [6].
Dans un premier temps, les techniciens occidentaux ont le plus souvent réalisé un plan d’urbanisme- cimetière, et ont tenté d’adapter leur conception de la salubrité. Pour eux, le bidonville est laid, inapproprié à toute vie humaine, et son désordre en est la cause. On construit donc à Dakar un lotissement Castor sur le modèle européen de lotissement ; Annick Osmont reproche l’inadéquation totale des logements au mode de vie sénégalais, modifiés par la suite par les habitants pour ressembler à un habitat traditionnel [7]. Jeanne Bisilliat comprend le besoin d’ordre éprouvé par les membres du Mouvement pour ne pas faire cortiço [8], mais elle espère que la production d’urbanisme populaire multiplie les tentatives de rompre avec la grille, pour que les gens constatent le bien-fondé d’un tel urbanisme moins uniforme et monotone. L’aide internationale survenue après une grande crise a longtemps fourni un abri d’urgence aux populations sinistrées. C’est le cas d’Architectes de l’Urgence en Indonésie et au Sri Lanka. Mais elle s’est rendue compte que cet argent devrait être consacré au développement et non gaspillé dans la résolution temporaire de crises. Alors elle a décidé de produire du durable. Mais elle a produit un habitat parachuté, nombre d’erreurs ont été commises, à tel point que des villages nouvellement construits sont restés vides. La bonne conscience de l’aide internationale, persuadée d’agir pour le bien, lui a fait trop souvent perdre de vue le fondement de son intervention, la fourniture de logements acceptables selon les normes du pays accueillant, pour l’amélioration du cadre bâti de populations en difficultés.
Dès la crise au Pakistan, l’intervention d’Architectes de l’Urgence a muté, car l’association a refusé de remettre clé en main des maisons, et a préféré aider les gens à construire, par eux-mêmes ou par l’emploi d’entreprises locales. Ainsi, l’association a proposé quatre types d’habitat plus ou moins traditionnels, avec un type de construction très locale. Les architectes locaux ont depuis longtemps pris en compte la nécessité de réaliser un habitat autoconstruit et d’apparence plus ou moins vernaculaire. C’est le cas d’Hassan Fathy, dont le plan masse pour New Gourna a été dicté par le refus de concevoir des casernes civiles, et le souhait d’une composition favorisant la diversité individuelle par l’intermédiaire de rues non droites et de parcelles de toutes formes, et la diversité de l’arrivée de lumière solaire au sein du village. Balkrishna Vithaldas Doshi, architecte et ancien collaborateur de Le Corbusier, a conçu le nouveau quartier d’Aranya (Indore, Inde) selon le modèle des villages autonomes, dont la proximité avec d’autres génère la ville indienne [9].