Essence de l’architecture et Formation à l’architecture

Albert HASSAN

Essence de l’architecture

Hassan Fathy résume les différents systèmes de construction en place dans les pays pauvres :

  • Le système de contrat que j’appelle l’économie capitaliste, qui ne convient pas pour des raisons évidentes : son prix trop élevé, et le risque pour de grands projets de perturber l’économie des matériaux et de la main d’œuvre en place dans une région.
  • L’“aided self-help” en anglais, projet dans lequel l’aide internationale intervient pour apporter matériaux et machines, mais repart avec ses moyens que le bénéficiaire ne peut employer seul. Les matériaux ne sont de plus pas disponibles sur le marché local, ou bien ils sont trop coûteux. Pour l’architecte égyptien, ce système cesse de fonctionner dès le départ de l’aide, à moins que les conditions d’une autoréhabilitation soient fournies dans la conception du projet.
  • Le système nucléaire offre un noyau de services et éventuellement une partie de maison, et construit en parallèle des maisons-modèles. Fathy déplore que le noyau soit trop souvent construit dans des matériaux non locaux ou trop coûteux.
  • Le système coopératif consacre l’entraide de tous les membres d’une communauté pouvant travailler. C’est ce système que Fathy a choisi pour New Gourna, car il considère que c’est la seule manière permettant de construire à bas coût tout en laissant l’habitant capable de modifier sa maison puisqu’il l’a réalisée lui-même ou connaît des artisans intervenant dans son économie locale.

L’architecture d’une assistance à l’auto construction s’arrête sciemment ; elle établit donc au préalable ce qu’elle considère être l’essence de l’architecture, qu’elle transmet au constructeur. Doshi arrête ainsi la construction des maisons d’Aranya à l’établissement d’un noyau de services et à la réalisation des fondations. Il prouve en même temps la diversité qu’on peut obtenir de ce point de départ dans ses dessins, puis dans l’édification de 80 maisons-modèles dont les habitants vont s’inspirer pour réaliser une ville entière. Sans exercer de coercition mais en établissant des fondations qui contraignent le constructeur à l’emplacement des murs, et en proposant un modèle, l’architecte parvient à faire faire du logement signé Doshi à des auto constructeurs autonomes.

Elemental, agence d’architecture chilienne fondée par Alejandro Aravena, renouvelle l’idée de mettre en relation architecture savante et architecture vernaculaire. Lors de la construction de logements pour cent familles déplacées de la Quinta Moroy (Iquique, Chili), l’architecte propose de laisser une dent creuse entre les premier et deuxième étages des maisons jumelées qu’ils conçoivent : celle-ci est laissée libre à l’autoconstruction. Il gère le plein et le vide, le savant et le vernaculaire dans la même maison. Il fournit les conditions sanitaires et de résistance sismique dans la maison de 36 m2 qu’il construit (salle de bains, cuisine, escaliers, murs mitoyens) et libère en hauteur la place pour bâtir la même surface. Il laisse de plus le bâtiment brut de finitions, et laisse son usager le personnaliser à son goût. Il est intéressant de remarquer qu’il a au préalable effectué des ateliers avec les futurs habitants pour leur proposer de réfléchir en maquette sur des aménagements possibles, et qu’une proposition effectuée par Elemental se retrouve dans de nombreuses extensions autoconstruites.

Yona Friedman, comme on l’a déjà vu, fournit le cadre technique indispensable à l’établissement d’un abri, en dessinant des structures permettant d’absorber la densité de la ville et libres de tout aménagement imposé.
Le thème de recherche de l’architecture de survie est donc l’habitat, mais l’habitat pris dans le sens le plus large du terme. Une architecture peut être considérée comme une architecture de survie si elle ne rend pas difficile (ou plutôt si elle favorise) la production de nourriture, la collecte de l’eau, la protection climatique, la protection des biens privés et collectifs, l’organisation des rapports sociaux et la satisfaction esthétique de chacun [1].

Formation à l’architecture

Lors de la constitution du mouvement mutirão, le coordinateur général de l’équipe technique se plaint de la mauvaise formation des architectes, qui ont appris à construire pour des bourgeois, sans la moindre préoccupation sociale. Hassan Fathy a enseigné pendant des années et a cherché à modifier le programme de ses étudiants, pour qu’ils apprennent à construire pour les pauvres, ce qui exige des compétences plus larges que l’architecture pratiquée habituellement. Le programme égyptien, calqué sur celui des écoles européennes, se consacre aux besoins de la ville et ignore la campagne. L’architecte se désintéresse donc complètement de la question de l’habitat pauvre. Fathy propose d’ajouter un programme post-diplôme, spécialisé dans la formation à ce type d’architecture. Doshi fait ce travail tout seul au cours de la construction d’Aranya, qu’il perpétue à travers la fondation qu’il a créée, la Fondation Vastu-Shilpa. Il étudie les bidonvilles d’Indore, comprend que la rue n’a pas pour seule fonction le transport, que la ville est divisée en petits quartiers, que les arbres viennent la ponctuer pour le confort des places publiques, mais qu’il manque les infrastructures et les services indispensables. Il opte donc pour l’autoconstruction et se concentre sur la fourniture des réseaux viaires, de l’approvisionnement en eau, de l’assainissement, de l’arrivée d’électricité…

Comment procèdent les populations pauvres pour apporter une sensibilité architecturale à leurs constructions sans intervention d’un spécialiste ? Pour Yona Friedman, il faut leur apporter la connaissance d’un langage adapté à la réalisation d’une architecture de survie, la diffusion d’une information dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • elle ne doit pas être didactique.
  • elle doit être exprimée dans un langage simple.
  • elle doit être véhiculée par un support simple et bon marché.

Selon David Georges Emmerich, cette « architecture sans architectes », fraternelle, joyeuse et souvent juste, si elle se passe de services des confrères dûment affiliés à quelque organisation professionnelle, n’est pas pour autant exempte de l’intervention de ceux qui remplissent en fait ce rôle. A part les conseils des sages, qualifiés dans le choix du lieu et la distribution des pièces, on dispose le plus souvent du concours d’un aîné expérimenté en la matière chargé de la direction des travaux et finalement on retrouve là aussi, en quelque sorte, les commissions, l’architecte et les constructeurs qui sont la plupart du temps occasionnels, bénévoles et non professionnels, laissant de fait au maître d’ouvrage le rôle de maître d’œuvre [2].

Notes

[1Yona Friedman, ibid.

[2David Georges Emmerich, ibid.