Précarité
L’assistance à l’auto construction fait face à la précarité la plus totale, dans des pays dont les villes croissent à grande vitesse et à l’intérieur desquelles les bidonvilles sont le plus responsables de cette augmentation. Mike Davis élabore un constat extrêmement pessimiste sur l’avenir de la construction dans le tiers-monde [1]. Aucune institution internationale ne développe des idées quant à l’abolition de la pauvreté à travers l’amélioration de l’habitat, source de la théorie de l’architecture de survie. Dans le monde entier, les logements publics sont attribués à des membres de classes sociales plus aisées. On parle d’usurpation. Ainsi, un quart de la population terrestre vit avec moins de 500$ par habitant [2]. A titre d’exemple, il manque un million de logements à São Paulo au moment de la création du mutirão de Vila Remo. Le nombre d’habitants des favelas de la ville croît de plus de 1000% en 15 ans, tandis que la population totale n’augmente que de 60%. 40% des immeubles en location (qui représentent 34% de tout le parc de logements) sont voués à des familles de 1 à 5 salaires minimum (situation de grande pauvreté) [3]. On estime aujourd’hui que 1 à 2% de la population mondiale survit grâce aux ordures [4]
La petite et la grande échelles
L’assistance à l’autoconstruction n’a aucun besoin d’influencer l’Etat dans son recours à un mode de construction fondé sur une économie non monétaire. Ce mode est déjà décliné à très grande échelle, et de toute manière seulement 20% de la demande de logements par les nouveaux arrivants peut être satisfaite par le marché des logements sociaux standards [5]. Pour Yona Friedman, la crise de l’habitat d’aujourd’hui vient en grande partie du fait qu’on a dissocié le toit et la nourriture ; il cite la Charte d’Athènes, texte fondateur de l’urbanisme moderne, qui exclut de son propos la nourriture. Cependant, on a beau constater que l’autoconstruction est le mode de construction principal, il n’est pas pour autant évident que l’assistance à l’autoconstruction est un modèle reproductible à grande échelle.
Pour Yona Friedman, la tendance est inéluctable et la pénurie mondialisée provoquera l’émergence d’une architecture de survie. Pour Hassan Fathy, il ne le sera que lorsque les architectes y seront formés. Pour Julian Salás, ingénieur espagnol, la meilleure méthode de sélection des bénéficiaires est le traitement au cas par cas, maison par maison, qu’il a appliqué pour la réhabilitation de quatre cents maisons au Nicaragua. Si le projet en est nettement allongé dans le temps, par ce système l’intervention a pu concerner l’amélioration de l’habitat de 400 familles dispersées plutôt que la construction ex-novo de 150 maisons groupées [6] Jeanne Bisilliat ne participe pas à l’optimisme ambiant résumé par Mike Davis. Elle écrit :
Tant que ces types de mouvements sociaux resteront ainsi isolés de la société globale, privés de la formation qui leur permettrait d’utiliser et de faire fructifier les savoirs acquis par l’accumulation historique des luttes, transversales dans l’espace et le temps à tous les pays, ils continueront à rester des enclaves. Ces petits groupes, dont l’énergie sociale potentielle est énorme, ne pourront dépasser le stade de l’innovation.
Même placé dans une perspective socio-politique militante, cet effort intense, si digne d’intérêt, n’occupe qu’un espace social réduit. Telle est d’ailleurs la conclusion de ceux qui travaillent sur les mouvements populaires. [7]
Economie
La main d’œuvre d’une autoconstruction est nécessairement à bas coût, sans quoi la démarche n’est pas viable financièrement. C’est pourquoi elle reste marginale dans les pays riches où la main d’œuvre constitue un coût important devant celui des matières premières, et au contraire elle est aussi répandue dans les pays pauvres. Elle ne va pas pour autant à l’encontre d’une certaine modernité, distincte de celle que les pays riches se sont construits avec l’industrialisation. Emmerich remarque dans le bidonville la naissance d’un produit industriel aux caractéristiques industrielles :
- Bas prix
- Rapidité
- Légèreté
- Matériaux industriels [8].
L’assistance à l’autoconstruction doit s’adapter à cette particularité des pays pauvres. Hassan Fathy refuse de réduire les coûts par la standardisation et l’industrialisation des procédés constructifs. Son expérience lui prouve que le paysan égyptien est trop pauvre, qu’il n’a pas les moyens de s’offrir le moindre type de production industrialisée, dont les coûts resteront toujours trop élevés pour lui. Le seul moyen est le fonctionnement d’une économie non monétaire. C’est la raison pour laquelle le réemploi est aussi commun, et l’emploi de matériaux locaux si utile à la réactualisation des savoir- faire traditionnels.