A mon sens, la majeure partie des maisons autoconçues, sans l’emploi d’architecte, ou tout du moins sans culture architecturale du concepteur, ne ferait rêver aucun architecte. Les maisons autoconstruites sont bien souvent des bâtiments qui tiennent debout, réalisés dans un certain respect des règles de la construction, mais ne présentent pas cette particularité spatiale qu’on attend d’un concepteur professionnel. On pourra objecter à cela que rares sont les architectes qui réalisent des maisons ayant justement cette qualité spatiale, mais il n’empêche qu’il est peu commun de trouver un autoconstructeur sensibilisé de ce point de vue-là.
Gilles Clément résume le souci qui apparaît pour l’autoconstructeur lorsqu’il commence à concevoir sa maison. On note que la référence architecturale est absente de son propos.
Faut-il que le salon soit un living-room ou une bibliothèque ? Le lieu où dormir doit-il être clos ? Quelle est la place de l’eau ? Offre-t-on aux toilettes une vue sur le dehors ou l’ombre conventionnelle des réduits ? Le bureau s’enferme-t-il en une pièce réservée ? Peut-il se décliner en chacun des espaces de la maison ? Le savoir a-t-il nécessité d’être tenu à l’écart pour exister ? Où met-on le piano ? – car, bien sûr, il y aurait un piano. Si tout se décidait en rapport à la musique, quelle figure aurait la maison ? Comment pratiquer le dessin, la peinture, la sculpture ? Comment inviter les oiseaux, accepter les mouches, observer les lézards ? Où sera la terrasse ? N’en faut-il pas plusieurs ? Et plusieurs angles d’accès à la nature ? Par quelles ouvertures, seuils, tonnelles et sentiers au dehors ? Y aura-t-il des ruches ? Quels seront les invités ? Les amis, les habitants ? Combien de personnes en ce lieu, réparties selon les règles aimantées du désir et de l’affinité ou de la distance et du respect ? Pour qui faire cette maison ?
Les Castors, mouvement d’autoconstruction ouvrier français des années 50, revendiquent le fait de fournir un abri à des populations qui n’en auraient pas les moyens par le biais de la construction classique.
« C’était l’idéal, pour un ouvrier, d’avoir un toit » dit un vieux Castor. [1]
Marine Joëts objecte à mes questions sur l’esthétique extérieure de leur maison le fait qu’on ne réfléchit pas tant à celle-ci qu’à sa praticité [2]. Joseph Rykwert décrit dans La maison d’Adam au paradis l’instinct de l’homme primitif à se construire un abri, qui montre que la maison est avant tout conçue comme tel, avant de répondre à des exigences de qualité spatiale, fer de lance des architectes plus que des habitants moyens voulant avant tout obtenir un abri confortable.
L’homme dans sa première origine, sans autre secours, sans autre guide que l’instinct naturel de ses besoins. Il lui faut un lieu de repos. (…) Il en sort résolu de suppléer, par son industrie, aux inattentions et aux négligences de la nature. L’homme veut se faire un logement qui le couvre sans l’ensevelir. Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes, qu’il élève perpendiculairement et qu’il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers, et sur celles-ci, il en élève qui s’inclinent et qui se réunissent en pointe des deux côtés. Cette espèce de toit est couverte de feuilles assez serrées, pour que le soleil ni la pluie ne puissent y pénétrer ; et voilà l’homme est
logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir l’incommodité dans sa maison ouverte de toutes parts mais alors, il remplira l’entre deux des piliers et il se trouvera garanti…
Il existe néanmoins des cas à part, soucieux avant tout de la qualité spatiale de leur future maison. Pierre Gaudin, tailleur de pierres, a construit une maison en pierre, en hommage aux carriers, sans dans un premier temps savoir que ce qu’il construisait deviendrait une maison, mais par simple volonté de démontrer la beauté d’une construction en pierre [3] . Les autoconstructeurs présentés par Lloyd Kahn dans Homework, en particulier Ian Mc Leod, qui a réalisé sa maison en pierre en 13 ans, font également montre d’une sensibilité architecturale, ce dernier en particulier dans l’intégration de sa maison au site. Ross Russell, mathématicien anglais, a commandé à dRMM (de Rijke Marsh Morgan Architects) une maison au toit coulissant qu’il a autoconstruite en 2009 apparaissant dans un grand nombre de revues architecturales et ayant gagné plusieurs prix. Il a réussi la performance de réaliser une maison en trois parties : serre, jardin d’hiver et maison traditionnelle, sur lesquelles vient se poser un toit isolé coulissant de 20 tonnes monté sur rails, permettant de multiplier les configurations possibles de la maison.
Bruno Caillard et sa femme, lors de leur installation dans une nouvelle région, ont quant à eux choisi avec une infime précaution le site puis la disposition des pièces en fonction de son rapport au grand paysage et lui s’est donné une culture architecturale que ne renierait aucun architecte.
Déjà on avait un cahier des charges super précis [concernant le terrain]. On voulait être dans le Sud toulousain, dans ce qu’on appelle les coteaux toulousains. On est dans un environnement protégé, tout le terrain qu’on voit ici devant est inconstructible. Pour des raisons géologiques, le terrain est sur un marais et ne sera pas construit, ce qui donne ce panorama et cette vue dégagés qu’on pourra conserver…
Comme je l’ai dit j’avais décidé de faire mes plans moi-même. J’ai consulté des ouvrages sur l’architecture, me suis inspiré de Frank Lloyd Wright par exemple.
Cependant, l’architecture vernaculaire, majoritairement réalisée sans le recours d’un architecte, ne doit pas être rejetée trop rapidement par des professionnels. L’autoconstruction plus encore, conçue directement par le futur habitant, ne constitue certes pas toujours la panacée de l’Architecture avec un grand A, mais elle remplit parfaitement sa fonction de plaire à son réalisateur.
L’architecture sans architectes n’est pas seulement un ramassis de constructions généralement sous-estimées, mais un témoignage silencieux de modes de vie riches en intuition quoique pauvres en progrès. (…) De plus, c’est une architecture sans dogme [4].
Plus encore, comme l’explique Julien Beller, l’autoconstruction se sépare entre habitat choisi et habitat subi. L’habitat choisi réalise sa maison non pas seulement par nécessité, mais aussi en l’incluant dans un projet de vie particulier (que ce soient les écologistes prônant un retour à la nature et vivant dans des lieux abandonnés par la civilisation urbaine ou les autoconstructeurs moyens). C’est pourquoi l’architecture de sa maison sera plus soignée, plus empreinte d’une réflexion profonde concernant sa conception, que celle de l’habitat subi qui veut ressembler à un habitat normal.