Précarité, Histoire et Gestion publique

Albert HASSAN

Précarité

On croit généralement que l’auto construction ne s’adresse qu’à ceux dont la situation est si précaire que leur seul moyen d’obtenir un logement est de le façonner de leurs propres mains. C’est le cas des populations qui subissent leur habitat, dont le manque d’argent les empêche de bénéficier d’une maison confortable. Les auto constructeurs de l’après-guerre en font généralement partie. Ce qu’ils l’ont fait, ils l’ont fait par défaut, jugeant qu’il n’y avait, à un moment précis de leur vie, pas d’autre choix, explique Pierre Gaudin.

Le Mouvement des Castors avait également la prétention de permettre à des gens de condition modeste de se regrouper pour pallier leur incapacité individuelle d’obtenir un logement décent.
La crise du logement sévit fortement, les sociétés HLM construisent, mais insuffisamment pour répondre à la demande. L’accession à la propriété se développe, aidée par les Pouvoirs Publics, mais les prêts bonifiés du Crédit Foncier ne dépassent pas 80% du montant théorique du type de construction recherché. Il faut donc trouver les 20% ou plus, ce qui est, à l’époque, le plus souvent insurmontable pour des familles aux ressources modestes. Le système Castor devient une solution logements.

Le rapport de la fondation Abbé Pierre jette la lumière sur la situation des Roms et le bidonville français dont beaucoup sont persuadés de la disparition complète. Il n’en est rien.
Bien que très marginal sur notre territoire, le « bidonville » reste souvent le seul recours pour certaines populations et notamment pour les Roms. Une solution qui s’apparente à une forme sédentarisée de campement sans autorisation sur des terrains sans commodités ni équipements. Installés dans les interstices de l’espace urbain, les bidonvilles accueillent une population familiale avec de nombreux enfants mais leur présence ne semble ni favoriser une prise en charge éducative, sanitaire et sociale appropriée, ni empêcher les répressions [1].

Toutefois, Daniel Cérézuelle, directeur scientifique du PADES, note que l’auto production n’est pas le stigmate de la pauvreté [2]. Les personnes avec lesquelles je me suis entretenu le montrent bien et Bruno Caillard insiste sur ce point : pour entreprendre la construction d’une maison, mieux vaut avoir plus de motivation que le simple fait d’économiser de l’argent. De nombreux autoconstructeurs sont des cadres, une enquête de l’INSEE de 1984 montrait que, parmi les nouveaux propriétaires, 18% des chefs d’entreprise construisaient la totalité de leur maison, représentant ainsi la deuxième catégorie sociale la plus représentée dans le domaine, après les artisans. Certes, Laurent et Marine expliquent que leur maison a coûté de l’ordre de 1200€ par m2, malgré l’emploi de matériaux coûteux. Mais ils y ont passé deux ans, en profitant de tous les moments de repos de leur vie professionnelle pour travailler au chantier, et ont tout appris sur la construction d’une maison pendant cette période. Un Castor des années 50 dit y avoir passé cinq ans [3].

Le choix d’autonomie de l’autoconstructeur crée dans certains cas une précarité. La volonté de sortir de la logique capitaliste de l’élaboration du logement pose en effet des problèmes financiers concernant les réseaux : il est ainsi extrêmement coûteux à une collectivité d’installer des fils électriques, d’aménager un chemin d’accès. Gilles Clément décrit les inquiétudes de la mairie et de la DDE lorsque leurs représentants constatent sa volonté d’éloignement du village : et s’il venait à exiger qu’on lui aménage un chemin, qu’on fasse venir les réseaux ? EDF et la DDE se renvoient la balle, le permis de construire est refusé car le lot électricité en est absent, dans le même temps EDF demande l’obtention préalable du permis avant de prendre position. La maison ne sera jamais connectée à l’électricité, un groupe électrogène fournit le minimum indispensable jusqu’en 2006, remplacé depuis par 2 m2 de panneaux photovoltaïques. Julien Beller rappelle que le gars qui se fait une yourte, excentrée parce que le maire ne le laisse pas faire sa yourte en plein milieu du village, lui il faut qu’il l’assume, il faut qu’il amène ses gamins à l’école, l’eau, l’électricité ça n’est pas toujours évident.

Histoire

L’autoconstruction a été éradiquée dès le XIXè siècle, l’Etat privilégiant une maîtrise globale du rythme de la construction de logements. Toutefois, des expériences ont été tentées entretemps, le mouvement n’est pas apparu pendant la crise ayant suivi la Seconde Guerre Mondiale. Au milieu du XIXè siècle en Angleterre, les équitables pionniers de Rochdale définissent les premiers la coopération comme on l’entend de nos jours. La Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris édifie une cité ouvrière, ancêtre des coopératives d’habitation, avec l’appui de Napoléon III.

L’apparition des logements d’habitation à bon marché (HBM) enraye la tendance, mais entre les deux guerres Georgia Knapp invente le Cottage social en pleine crise du logement, dont la particularité est que l’origine du projet vient d’un employeur qui décide d’améliorer l’habitat de ses ouvriers et finance la construction. Les Castors sont créés plus tard. Il manque alors en France cinq millions de logements. A Saint-Nazaire, en mai 1945, il ne reste que 150 habitants contre 38 000 avant guerre. Le pourcentage des destructions est évalué à 85%.

Le terme de « Castor » est associé, dans l’histoire du logement social, aux années 1950, quand des initiatives d’autoconstruction organisée ont émergé, sous forme associative, dans beaucoup d’endroits de France. Mais la séquence chronologique dans laquelle il s’est exprimé s’étale en réalité sur une trentaine d’années, même si au début des années 1980, ce mouvement n’était plus qu’à l’état résiduel. Plusieurs traits caractérisent le mouvement. Bien entendu la partie la plus visible, aujourd’hui encore, c’est l’habitat construit, mais il y a eu aussi des formes originales de participation et d’autogestion. Ce mouvement est à mettre en relation avec d’autres courants communautaires, actifs à la même époque, en particulier le mouvement populaire des familles (MPF) et les squatters.

La crise du logement atteint de telles proportions que les instances publiques encouragent alors les Castors à tenter l’expérience, incapables de remédier seules au manque de logements lié aux destructions de la guerre. Pour qu’un ministre de la reconstruction appuie cette forme dérisoire et désespérée de réaction contre la crise du logement, il fallait vraiment que celle-ci ait atteint des proportions inquiétantes et que l’avenir, malgré le tournant que va prendre progressivement la politique du logement au cours des années 1950, apparaisse bien sombre.
Les Trente Glorieuses ont eu raison de ces mouvements d’autoconstruction autonome qui s’étaient créés en réponse au manque de logement, qui ont donc disparu avec la prise en charge par l’Etat de la construction massive de logements.

Gestion publique

Si l’auto construction autonome se veut en marge de la construction capitaliste du bâtiment, elle ne souhaite pas pour autant s’affranchir de l’acteur public, et celui-ci a, comme on vient de le voir, modulé ses encouragements en fonction de sa capacité à répondre lui-même aux aspirations de la population.
Le ministre de la reconstruction a publiquement encouragé des Castors à poursuivre leur voie d’indépendance pendant l’une des pires crises rencontrées par la France. L’Etat recherche à ce moment toutes les solutions possibles pour répondre aux besoins des sans-logis. L’une est l’encouragement de l’auto construction, qui le décharge d’un certain nombre de nécessiteux. Elle n’est pas systématique, puisque les Castors d’Angoulême n’ont reçu aucun apport financier, mais ont simplement obtenu des prêts par la Caisse d’épargne, grâce certainement à l’intervention de leur président, Jean Sébire, ingénieur TPE. L’autre est celle de l’Etat-providence, qui relance l’économie de son pays en favorisant la construction.
En 1954, la Caisse des dépôts et consignations crée une filiale, la SCIC (Société civile immobilière centrale) et devient alors un maître d’ouvrage de premier plan. Elle va entreprendre des programmes de grands ensembles dont celui, emblématique, de Sarcelles. C’est à la même époque, 1954, que démarre le chantier Castor de La Peupleraie, à Fresnes.

On l’a vu en introduction, le mal-logement continue à sévir en France. L’auto réhabilitation promue par le PADES expérimente une réponse à certaines situations de possession du logement mais d’absence d’appropriation du logement. Une action à Perpignan a ainsi ravivé l’intérêt que portaient la Mairie et l’OPAC à l’action menée sur son territoire par le CCAS (Centre communal d’action sociale). Des services d’accompagnement ont été créés dans quatre villes (Bordeaux, Perpignan, Le Havre et les Mureaux) avec la collaboration des Compagnons Bâtisseurs. Forts de cette expérience, les maires des quatre villes concernées ont écrit à M.Borloo pour lui dire « Nous pouvons affirmer qu’aucune autre démarche d’amélioration du logement ou de rénovation de l’habitat urbain ne permet d’obtenir ces résultats avec des publics souvent difficiles »

L’acteur public, dans la limite de ce que le droit lui permet, peut décider d’encourager l’auto construction autonome lorsque l’expérience lui montre le bien-fondé de la démarche. Il est normal qu’il ne soit pas a priori favorable à celle-ci puisque le droit français va souvent à l’encontre d’une volonté d’autonomie et puisqu’il ne peut se permettre d’apporter son soutien (forcément public) à une démarche dont il ne maîtrise pas le processus.

Notes

[1Fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France, 2010

[2Daniel Cérézuelle, Crise du « savoir habiter », exclusion sociale et accompagnement à l’autoréhabilitation du logement, 2007

[3Fabrice Marache, ibid.