Expérimentation et autopromotion
L’autopromotion revendique un autre habitat, qui se distingue par sa volonté d’une vie partagée, non pas nécessairement communautaire, mais dont les liens entre les logements sont favorisés par la participation des habitants à la conception de leur projet commun. C’est ainsi que les projets d’habitat groupé sont motivés par une forte créativité. Chaque groupe a besoin d’inventer sa propre méthode, de faire sa propre histoire, voire de refaire les mêmes erreurs [1]. Le groupe qui se constitue bénéficie de peu d’expériences dans le domaine sur lesquelles fonder son architecture. Ses exigences particulières l’obligent donc à expérimenter l’architecture qui lui convient, et les autres groupes qui se formeront plus tard pourront s’inspirer des différents résultats que cette démarche a proposés. Les démarches expérimentales de quelques projets pionniers qui se concrétisent aujourd’hui sont permis d’élaborer des guides de stratégie plutôt que de réponses pour les suivants : leur objectif est bien que chacun puisse construire collectivement sa propre charte [2].
Le quartier Vauban à Fribourg fait ainsi office de modèle pour beaucoup. Son aménagement a été initié à la suite du départ de l’armée française en 1992, qui occupait jusque là le lieu pour y loger des militaires. Une certaine démocratie participative a été mise en place après la première phase d’occupation du lieu par le squat, et les prétentions écologiques des futurs habitants se sont doublées de leur volonté de vivre en coopératives. Un parking solaire a été réalisé à l’entrée du quartier avec un grand magasin sous une toiture photovoltaïque, dans le but de rendre le quartier totalement piéton. Un tramway le relie au centre-ville. Il est autonome en eau chaude et couvre 65% de ses besoins en électricité grâce à une cogénération bois/gaz.
Avant cela, l’habitat groupé autogéré constatait la difficulté que rencontrait l’architecte à répondre à une commande particulière à laquelle il n’était pas habitué. La traduction en espace des formes d’entraide et d’échange de ces groupes ne forme pas le quotidien des architectes. Aussi, ces professionnels deviennent-ils souvent moins compétents face à cette question particulière qui leur est posée et ont-ils involontairement tendance à ramener le groupe à la norme courante [3]
Certains groupes ont plus rapidement compris la nécessité de trouver un architecte militant pour leur mouvement, voire même de choisir un architecte parmi les futurs habitants. En effet, une insertion aussi fusionnelle de l’architecte dans le groupe a le mérite de marquer la rupture d’avec l’image traditionnelle du créateur autoritaire [4]. A tel point qu’à Saint-Nazaire, l’architecte quitte le groupe qui veut faire moins d’autoconstruction que lui ne le souhaite.
La proposition de loi sur l’habitat groupé du 21 octobre 2009 prend ce facteur en compte dans l’article 3 du titre I, Définition et principes généraux de l’habitat participatif, il institue un droit particulier de tels projets à l’expérimentation écologique : les méthodes d’isolation thermique et de réduction de l’empreinte écologique de l’habitat participatif bénéficieront d’un droit à l’expérimentation [5].
Perception de l’architecte
Il est probable également que la plupart de ces familles n’auraient jamais fait appel à un architecte ni collaboré avec lui, si elles avaient acquis leur logement isolément, à l’instar de l’autoconstruction autonome. Certaines d’entre elles, déjà en accession [6], n’ont fait que choisir un logement sur le marché immobilier. Il semble que le seul passage à une échelle d’opération directement supérieure à celle de l’habitat isolé provoque et permette à la fois ce recours à l’architecte, donnant accès à ses services, pour une population qui ne l’aurait sans doute pas eu directement.
Dans les années 1970, l’architecture, à l’époque axée sur la production de logements à très grande échelle, était en opposition totale avec le souci premier de l’habitat groupé autogéré.
Les groupes craignent une conception architecturale qui s’affirmerait à leurs dépens. (…) Le premier souci d’un groupe en formation est de ne plus avoir son mode de vie contrarié par l’architecture. Celle-ci est d’abord perçue comme une puissance étrangère à qui l’on interdit d’intervenir dans les espaces intérieurs du groupe. Or, une fois que le groupe s’installe, l’appréhension soupçonneuse a laissé place à l’adhésion passionnée. Les visiteurs sont alors frappés du lyrisme et de la précision avec lesquels les habitants expliquent les multiples qualités de l’architecture réalisée. Il faut constater là ce que les architectes revendiquent sans relâche mais ne trouvent jamais, à savoir une adéquation reconnue entre les espaces habités et leurs habitants [7].
Les habitants de la maison du Val ont d’après M. His choisi l’architecte en fonction de ses travaux précédents et de l’aspect non orthodoxe de ses précédentes réalisations.
Ce sont les habitants qui définissent le programme. Puis le projet, en collaboration avec un architecte choisi soigneusement par eux. Malgré tout, la mise en œuvre du projet s’avère toujours plus heureuse lorsque l’architecte a vécu l’élaboration du programme, qu’il peut se référer à l’esprit plus encore qu’à la lettre [8]. A la fois ils font acte du besoin d’un concepteur professionnel pour prendre en compte la complexité de leurs revendications, mais dans un premier temps ils craignent surtout de faire appel à un professionnel peu soucieux de traduire dans l’espace ces mêmes revendications en un autre habitat.
Construire autrement
Les bâtiments qui émergent de la démarche d’autopromotion sont certes mus par une grande expérimentation, et leur souci commun de construire autrement, de prendre part à la conception du logement, aboutit à une similarité architecturale qui permet, à l’inverse de l’autoconstruction autonome, d’en tirer quelques grandes caractéristiques.
Les logements sont généralement plus spacieux car plus économiques (30% d’après Alain His). Chaque appartement ou maison est personnalisé, à l’inverse de l’autoconstruction autonome collective qui répétait le même logement autant de fois qu’il le fallait et répartissait les familles à la fin de la construction, pour éviter que chaque membre du groupe ne se focalise sur son logement. La multiplication des circulations extérieures, coursives et terrasses communes à tous les logements se retrouve dans la majorité des immeubles collectifs d’habitat groupé. Les espaces communs sont très développés, à la Maison du Val ils totalisent 280 m2, salle de musique, atelier, foyer, salle polyvalente, salle de jeux, deux studios d’accueil pour les gens de passage, un cellier collectif. Ils peuvent être loués à tous, en particulier aux habitants de Meudon.
Depuis la redécouverte dans les années 2000 de ce type d’habitat, la prétention écologique amène les futurs habitants à décider également à des choix constructifs qui n’intéressaient que modérément le mouvement des années 1970 ; elle redouble ainsi la similitude des différents projets réalisés.
Temporalité
Lui a-t-on jamais demandé combien il espérait avoir d’enfants, si cela lui ferait plaisir que sa mère – ou sa sœur, ou son frère – n’habite pas trop loin de chez lui ? Lui a-t-on jamais demandé s’il avait des meubles de famille auxquels il tenait (malgré leurs dimensions), ou même seulement s’il avait le vertige ? Et pourtant, pendant combien d’années cet habitant va rire, pleurer, avoir peur, aimer, élever des enfants, fêter des anniversaires, réunir des amis dans cet immeuble qu’aura autorisé à construire le maire, qu’aura financé le promoteur, qu’aura imaginé l’architecte et qu’auront réalisé ingénieurs, artisans, ouvriers, sans jamais, à aucun moment, qu’on lui ait demandé son avis ? [9] interrogent Edouard Dor et Patrick Bouchain.
Actuellement, le « citoyen utilisateur » se trouve, le plus souvent, en bout de chaîne : il reçoit un habitat imaginé, conçu et fabriqué par d’autres et dans lequel il doit vivre [10]. Cette remarque est juste, sauf justement en ce qui concerne l’autopromotion. La suppression d’un promoteur est l’acte fondateur qui permet l’expression du client. Mais alors, Philippe Bonnin dénote que l’aller-retour constant entre architecte et clients démultiplie le temps du projet. Non seulement le temps de la conception est agrandi, mais avant cela le temps de la programmation également.
Pour Pierre Lefèvre, les grandes étapes du projet sont les suivantes :
- Dans un premier temps, c’est le projet de vie qu’il importe de clarifier. (…) Une présence trop active de l’architecte risque fort à ce stade d’encombrer prématurément le groupe avec des considérations techniques et financières qui servent d’alibi « réaliste » pour les prises de pouvoir à l’intérieur du groupe. L’expérience montre qu’il faut savoir retarder l’architecture pour construire le programme.
- Les hésitations du plan-masse sont les moments indispensables grâce auxquels le groupe, au-delà des intentions abstraites, se forme sa véritable identité.
- Il ne faut pas croire que l’architecture se déduise automatiquement du programme [11].
Alain His et son groupe de la maison du Val se sont réunis avec l’architecte au moins une fois par semaine pendant un an, voire deux parfois.
C’est une très forte implication avec l’architecte bien sûr. On s’est très bien entendus avec lui. On a travaillé ensemble sur le plan avec l’architecte. Il a passé beaucoup de temps, chez les uns, chez les autres. Il est allé enquêter chez chaque famille pour connaître les relations des uns avec les autres, les petites habitudes familiales. Il a fait un gros dossier d’enquête.
La conception se fait presque en direct, vérifiée chaque semaine par le client, ce qui amène des architectes plus récents à en pousser le vice jusqu’à réellement concevoir en direct. Pierre Mahey décrit les enjeux d’une telle démarche, parmi lesquels :
- conception comme processus itératif partagé
- au final, concepteur-animateur
- changement des outils : photo + vidéo
- changement dans leur utilisation : en direct.