Expérimentation d’une limite
La participation de la population à la conception de son habitat est un souhait louable. Mais Lucien Kroll, architecte belge, remarque que l’aventure des comités de quartier est parfois frustrante : j’en ai fréquenté beaucoup et je n’en ai rencontré aucun qui ait obtenu un résultat positif : coopérer paisiblement avec un « pouvoir » et confectionner un projet commun [1]. Il n’est pas concevable d’imaginer cette coopération dans toutes les étapes de la construction de logements. Alors, où la participation doit-elle laisser la place à la décision unilatérale ?
Dans le cas de l’autopromotion, les expériences tendent à montrer que l’architecte doit reprendre le dessus lors du chantier, sans quoi il ne peut plus exercer son métier. C’est ce qu’a constaté l’architecte de Saint-Nazaire la Bosse, M. Cochy, dans la réalisation de neuf logements en petit collectif, qui résume ici son point de vue, intimement lié aux honoraires qu’il a touchés : il importe de dire aux architectes et aux groupes en devenir de prendre soin d’examiner les honoraires à définir en rapport avec les expériences précédentes. Car tous les confrères que j’ai rencontrés m’ont dit y avoir laissé des plumes et hésitent à renouveler l’expérience ; ceci dit, je remercie le groupe de m’avoir permis de participer à leur projet et d’avoir concrétisé leur désir de changement [2].
Alain His a fait le même constat :
On a eu de très bons rapports [avec le constructeur], mais au bout d’un certain temps, comme à chaque réunion quelqu’un voulait changer quelque chose, au bout d’un moment ils nous ont envoyé un courrier
« Arrêtez les gars ! Ca va trop loin ». Tous les appartements sont différents, il n’y a rien de modulaire. C’est un casse-têtes. Il a eu raison de le faire. Dans le troisième habitat autogéré qu’il y a à Meudon, ils ont choisi le même architecte. Et ça n’a pas du tout marché. A tel point qu’ils ont changé d’architecte au milieu de la réalisation. Curieux, ça !
La transmission de la (des) connaissance(s)
Le droit français ne prévoyant pas la création d’un habitat autopromu puis autogéré, tous insistent sur le fait que surmonter les difficultés administratives est relativement lourd, parfois un obstacle insurmontable pour la bonne réalisation du projet. Le MHGA (mouvement pour l’habitat groupé autogéré) avait pour vocation de mettre en commun les expériences de chacun et de rassembler dans un même mouvement les démarches d’autopromotion, dans le but de leur donner un porte-voix et de leur conférer une dimension politique plus importante sur le terrain de la gestion publique de l’habitat. De nos jours, des associations comme Habicoop à Lyon se sont constituées pour aider au montage de projets coopératifs. Les GRT (groupes de ressources techniques) québécois, forts d’une expérience plus poussée que leur équivalent français, proposent de monter des partenariats avec la France, dans l’optique de former des professionnels à l’animation des groupes.
La plupart des projets en cours sont soutenus par des structures d’accompagnement : des groupes de particuliers qui ont déjà vécu une telle expérience, ou des professionnels de la médiation et des architectes qui assurent une assistance à cette maîtrise d’ouvrage collective, mais aussi des associations dédiées, centres de compétences et de ressources (moniteurs de projet, architectes, ingénieurs…) et de partenariats (élus, opérateurs, juristes, notaires, banques…), écrit Anne Debarre [3].
Les nouveaux aspirants à un vivre autrement s’inspirent de l’expérience de leurs aînés. A tel point parfois qu’Alain His se moque de ceux qui ne franchissent pas le pas et leur demandent de participer à l’élaboration de leur projet : Venez nous autogérer, nous on ne sait pas très bien faire. Il est toutefois récurrent qu’un membre du groupe soit un professionnel de la construction, ce qui évite bien des complications. Bruno Parasote, urbaniste et président de l’association Eco-quartier des habitants du futur immeuble de Neudorf de Strasbourg :
Nous avions repéré un terrain mais impossible de l’acheter. Nous avons déposé le permis de construire sans l’avoir obtenu pour forcer la municipalité à se positionner. Ils nous ont finalement vendu la parcelle [4].