Intégration du projet dans le site
Le terrain se situe dans un quartier tranquille d’Ablon-sur-Seine, un grand village de 3220 habitants en 1954. Le voisinage fut assez inquiet à l’idée de voir une communauté issue de la classe populaire, entreprendre un projet de construction dans leur quartier « où il fait bon y vivre ». L’inquiétude peut se comprendre car le projet paraissait flou aux yeux du voisinage, tant dans sa nature que dans son aspect visuel. Il semblerait qu’ils aient peur de voir se construire des « cabanes à lapins » en éternel chantier. La présence d’un voisin fonctionnaire, subdivisionnaire de la Direction des Services Départementaux de Seine et Oise de la Reconstruction, ne facilitait pas l’intégration des Castors dans le quartier : « Nous sommes prêt à soutenir votre projet… du moment que vous construisez ailleurs ! ».
La rue du Hameau de Bellevue longeant le terrain par la droite, était une voie privée. L’accès au site se faisait donc par la rue de Mons, en contre bas du coteau. Un chemin sera donc crée à l’intérieur même du terrain afin de desservir la totalité des 18 sous-parcelles. Cette voie intérieure serpentait le terrain afin de réduire la raideur de la pente. La disposition des pavillons et leur orientation dépendaient de cette voie intérieure tout en laissant présager qu’un jour, la rue du Hameau de Bellevue deviendrait publique. La façade principale des pavillons du type 4C (voir figure ci-dessous) est orientée vers la rue privée du Hameau de Bellevue, mais son accès se faisait par derrière, par la voie intérieure. Le Conseil Municipal du 10 janvier 1959, soit presque 3 ans après l’emménagement des familles Castors, accorde la création de la Rue du Mont Cassin, en prolongement de la Rue Henri Dumont ainsi que le classement dans la voirie urbaine de la Rue du Hameau de Bellevue.
Les pavillons construits sont essentiellement des 4 pièces (4A, 4B et 4C) et des 5 pièces (5A). Malgré les quatre différents types de pavillons, on constate dans l’ensemble une certaine homogénéité d’un point de vue architectural. A première vue, les pavillons semblent tous identiques. Les variations résident donc dans la distribution interne selon la position de l’entrée principale et le nombre de pièces à vivre. Les pavillons s’organisent tous en demi-niveaux : les types 4A et 5A ont chacun leur façade principale orientées vers le bas du coteau. Les pièces de vie étant aux niveaux supérieurs, l’entrée se fait donc, côté rue, par le bas. Les façades principales des pavillons de type 4B, se retourne vers le haut de la pente et on accède de plein pied à un demi-niveau contenant le garage et une chambre. Deux chambres supplémentaires et la salle de bain se trouvent à un demi-niveau supérieur, et le séjour ainsi que la cuisine au demi-niveau inférieur. Les pavillons 4C sont quasiment identiques aux 4B, sauf que leurs façades principales sont orientées vers le flan de la côte.
Il existe une homogénéité, non seulement, entre les pavillons eux même, mais également dans l’ensemble du quartier. Le détail qui frappe au premier coup d’œil et qui permet de reconnaître un pavillon castor d’un simple pavillon est celui des volets en bois à barres et écharpes (dites en Z) rouge et blanc, couleurs d’origine. Aujourd’hui, ce détail s’est peu à peu effacé : les nouveaux locataires ou propriétaires les remplacent par des volets métalliques ou les repeignent d’une façon uniforme.
Les pavillons
Après avoir emménagé le 29 juillet 1956, peu de familles ont réellement modifié leur maison. Le gros des travaux extérieurs était achevé, il ne manquait plus que l’eau, l’électricité et le gaz ainsi quelques éléments à l’intérieur tels que les portes, les papiers peints et les meubles.
L’un des rares Castors, et le premier parmi tous les pionniers à avoir entrepris des travaux de réaménagement est M. Vilandrau, le propriétaire d’un pavillon de type 4B. Ayant pris goût au travail de bricolage, il décide d’aménager les combles (non habitables à la base) au-dessus du garage en une nouvelle chambre : Il abaisse au maximum le plafond du garage afin d’augmenter la hauteur sous-comble de la future chambre. Elle n’aura que 4,1m² de surface habitable mais sera suffisant pour accueillir un lit et une table de chevet pour ses enfants. Pour pouvoir loger ses deux filles, il décide d’agrandir l’une des chambres au dépend de l’autre contigüe. Il modifie également la cuisine en la rendant « américaine » : il condamne l’accès d’origine au niveau du palier et abat une partie de la cloison la séparant de la salle à manger. Il gagne ainsi en volume et en fonctionnalité.
Des travaux sont également entrepris par les nouveaux résidents qui ont récemment acheté un pavillon castor laissé vacant pour cause de décès la plupart du temps. C’est l’exemple de M. Montarou qui a emménagé dans le pavillon jumelé à celui de M. Vilandrau en avril 2005. Ce nouveau résident est conscient qu’il va occuper avec sa petite famille un lieu rempli d’histoires. Malgré la solidité irréprochable de la construction, des travaux de remises en normes étaient nécessaires. Entre autre, des travaux de remise en conformité des gaines d’électricité, des menuiseries, des isolations au niveau de la toiture, et quelques réaménagements de l’espace (agrandissement de la cuisine). En plus du remplacement total du réseau électrique et de gaz, des travaux ont été également réalisés au niveau des revêtements de sol et muraux. Les fenêtres d’origines seront remplacées par des doubles vitrages Etant une construction datant d’avant les premiers avions à réaction, l’Aéroport de Paris s’engage à rembourser à 80% le financement des fenêtres due à la nuisance phonique). Il faut préciser également que M. Montarou est un habitué des remises en conformité car il travaille chez Air France en tant que technicien dans l’entretien aéronautique (rénovation des cabines, etc.…). Grâce à son expérience, il a pu réaliser lui-même ses travaux. Avant d’emménager dans ce petit quartier tranquille, il habitait avec sa femme et sa fille, pendant 15ans, dans un F3 d’un immeuble HLM à Villeneuve-le-Roi, pour environ 300 euros/ mois. Ce qui leur a permis d’économiser assez pour s’offrir un pavillon individuel.
Aujourd’hui, il ne reste plus que sept maisons occupées par des anciens castors dont trois couples et quatre veuves. Les onze autres pavillons sont occupés par de nouveaux résidents. Dans l’étonnement et même la déception de certains anciens, aucun enfant de Castors n’a repris les pavillons construits par leurs parents. Ils ont tous été vendus.
L’exemple des différents réaménagements réalisés par M. Vilandrau dans son pavillon.
L’idée d’une « société idéale »
On ne peut pas dire que le chantier des Castors d’Ablon a été une partie de plaisir. A la difficulté de construire sur un terrain glaiseux et pentu s’ajoute malheureusement l’accueil très froid des voisins. Dans l’adversité, la communauté des Castors s’est unie de façon fraternelle. Les différents problèmes qu’ils ont pu rencontrer durant cette aventure, leur ont permis de se rapprocher.
Chaque Castor, de par son métier, avait sa spécialité, donc son rôle propre dans l’association, organisée comme une petite entreprise. Le président, Jean Jacques Kayser était agent de police, ce qui lui permettait d’avoir des horaires flexibles. Il pouvait ainsi consacrer du temps au chantier. Michel Bonneau qui était lui, chef d’achat dans son entreprise, s’occupait des achats pour le chantier. Parfois, le métier d’origine ne correspondait pas exactement au rôle effectué dans l’association. Maurice Vilandrau qui était dessinateur industriel, était chef du personnel. Rappelons également qu’il a été l’un des rédacteurs du mensuel local qui a lancé l’aventure des Castors dans sa ville. L’idée de l’opération était non seulement dans le but de se construire un toit, mais également de former une « communauté idéale » vivant dans une certaine fraternité. Cet idéalisme est renforcé par les convictions religieuses de certaines familles Castors. En effet, la plupart d’entre eux faisait partie de la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ou la J.E.C. (Jeunesse Etudiante Chrétienne).
Cette fraternité se manifeste par une entraide générale et le partage entre les familles. En contradiction avec le communisme doctrinaire qui voyait le mouvement Castor comme un « embourgeoisement », par ce désir d’accéder à la propriété individuelle. La construction des pavillons s’est fait ensemble, et même après les travaux, la solidarité entre familles se prolongeait jusque dans la vie de quartier. A l’emménagement des familles il n’y avait encore ni eau, ni chauffage, ni électricité. Selon le récit des habitants, l’anecdote la plus forte était la distribution de l’eau au début. Les 18 pavillons se ravitaillaient en eau grâce à un tuyau en caoutchouc branché à une borne publique située à mi-chemin entre le haut et le bas du coteau. Les familles ont vécu ce désagrément pendant au moins 6 mois. Fort heureusement, à l’arrivée de l’hiver 1956, chaque maison avait son confort minimal : fenêtres, portes, eau, électricité etc.… En plus de l’entraide entre voisins Castors, il y a également des réjouissances collectives qui sont organisées : Les familles se réunissaient pour noël en organisant des saynètes jouées par les enfants Castors dans un garage, retraçant des moments forts de l’aventure de leurs parents. Les 14 juillet étaient également fêtés sur la rue du Mont-Cassin qu’ils ont eux même construit. La petite communauté réservait également un accueil chaleureux aux nouveaux voisins qui venaient racheter les pavillons. Aujourd’hui encore, les relations entre anciens Castors et nouveaux voisins restent conviviales même si ce n’est plus la même chose. Certains d’entre eux ont même confié avoir été « chaleureusement accueillis ».
La caractéristique qui distingue le groupe Castor d’Ablon de celui qui sera évoqué plus bas, est sans doute le degré de difficulté de l’opération : un effectif assez restreint et très peu expérimenté, une aventure qui débute à partir de rien, un terrain fortement pentu et glaiseux, une forte réticence du voisinage à accueillir une population issue de la classe populaire dans leur quartier… L’aventure des Castors d’Ablon aura duré en tout six ans, dont trois ans de travail collectif en chantier. Six ans d’adversité mais de rapprochement qui se prolongera en une fraternité aujourd’hui. Cela a également contribué à enrichir les qualités humaines de beaucoup d’entre eux : « plusieurs membres du groupe furent candidats, voir élus municipaux », toujours dans cette démarche d’aider son prochain et finalement de s’entraider. L’un des Castors, aujourd’hui décédé, aimait souvent répéter que leur « fraternité a été scellée par le béton ».